Lorsque Julie Polidoro parle à propos de ses œvres “d’élasticité entre le visible et le non visible” c’est pour mieux affirmer que la peinture reste encore l’un des moyens les plus efficaces pour parler de nos expériences intimes. A travers une technique hors norme, cette artiste italienne ne cesse d’inventorier des lieux; des corps aussi. Pour être plus exacte, elle met en scène le territoire des sensations. On le sait, notre culture occidentale puise dans l’espace réel, l’espace habité, vécu et pratiqué, le ressort de son rapport au monde. La rupture de la Renaissance vient de là, de ce moment particulier où l’homme européen cherche à se situer dans l’univers, moment unique où le proche et le lointain s’opposent, période également où s’invente l’idée de perspective, c’est-à-dire une codification mathématique des représentations de l’univers. Comme de rares artistes contemporains, Julie Polidoro sait que ce mode de représentation ne possède plus l’actualité qui fut autrefois la sienne. Internet, les techniques virtuelles de représentation, les nouveaux moyens de transport ont bouleversé notre imaginaire et notre façon d’appréhender l’espace. Désormais certains villages français nous paraissent plus éloignés que ne le sont des métropoles comme Berlino u New York. Lorsque Julie Polidoro réalise de fausses cartes, de fausses topographies en peinture ou même des paysages vus du ciel et des formations nuageuses, c’est bien pour nous signifier que c’est toujours notre corps qui vit et comprend l’espace, que seule l’expérience physique est le gage d’une intelligence de l’étendue qui nous entoure. Evidemment, un tel parti-pris indique aussi combien toute expérience n’est intelligible et profitable qu’en fonction de l’analyse qu’en fait l’esprit. La peinture de cette artiste parle donc de lieux, de villes. Mais surtout en ponctuant ses représentations de personnages elle nous évoque la condition humaine, cette condition qui navigue entre des idéologies désormais contradictoires. Car ne l’oublions pas: l’espace, tout espace, est avant tout construction idéologique. Sans doute fallait-il que cette leçon nous vienne de la peinture, art inventé pour démontrer à l’Occident du XV siècle qu’il existait bien un ailleurs et que celui-ci n’était perceptible qu’à partir de l’instant où l’homme en prenant conscience de soi prenait conscience du monde.
Damien Sausset, “Diversité”, décembre 2012